Une étude menée par des équipes de l’Institut Pasteur du Cambodge et de l’Institut Pasteur à Paris entérine l’efficacité du nouveau protocole vaccinal post-exposition contre la rage développé dans le Réseau International des Instituts Pasteur et adopté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’OMS préconise depuis 2018 une vaccination post-exposition contre la rage, immédiatement après la morsure par un animal suspect, en trois séances sur une semaine au lieu de quatre séances sur un mois auparavant. « Ce sont les données scientifiques que nous avons recueillies au Cambodge qui ont amené l’OMS à changer ses recommandations », explique Arnaud Tarantola, responsable de 2011 à 2016 de l’unité d’Epidémiologie et de santé publique de l’Institut Pasteur du Cambodge, aujourd’hui à l’Institut Pasteur à Paris. « Ces données avaient été partagées en avant-première avec les experts à l’OMS. Elles ont ensuite été publiées en 2018 (1) pour l’étude clinico-épidémiologique sur le devenir des patients ayant reçu un protocole abrégé et nous publions aujourd’hui (2) l’étude sérologique. » En effet, la nouvelle étude publiée le 28 septembre 2019 confirme que la quatrième session de vaccination antirabique ne procure aucun avantage supplémentaire aux patients en termes d’immunité. L’adoption de ce protocole vaccinal post-exposition plus court est un élément central pour contrôler la rage auprès de milliards d’habitants dans plus de 150 pays endémiques, alors qu’une stratégie vaccinale mondiale vise à éliminer la maladie d’ici à 2030.
Eliminer la rage humaine transmise par les chiens
Depuis 2015, une mobilisation internationale initiée par l'OMS/OIE/FAO* a pour objectif d’éliminer la rage humaine transmise par les chiens d’ici à 2030. Dix-sept des 32 instituts du Réseau International des Instituts Pasteur sont implantés dans des régions où la rage est endémique. « Nos capacités de recherche et d’application ont conduit ces dernières années à des avancées significatives dans la lutte contre cette zoonose virale », rappelle Arnaud Tarantola. « Le réseau international a un rôle central à jouer dans la recherche contre la rage, puisque les Instituts Pasteur sont les seuls lieux où la rage circule et où sont réunis en un seul lieu la vaccination, l’expertise virologique et des unités d’épidémiologie avec des chercheurs connaissant parfaitement le sujet ». Ainsi, recherche et médecine cohabitent dans le Réseau, adossées à un centre collaborateur de l’OMS pour la rage à Paris. « L’adaptation du protocole vaccinal post-exposition constitue un exemple majeur de la mise en place dans un pays du Sud de nouvelles stratégies de contrôle de la rage », souligne Hervé Bourhy, responsable du centre collaborateur de l’OMS pour la rage, et de l’unité Dynamique des Lyssavirus et adaptation à l’hôte, à l’Institut Pasteur (Paris).
*Organisation mondiale de la Santé (OMS), Organisation mondiale de la santé animale (OIE), Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
La rage, une maladie toujours mortelle en 2019
Rappelons que la rage (voir notre fiche maladie) est une zoonose virale invariablement mortelle une fois les premiers signes de la maladie déclarés. L’Institut Pasteur, qui a célébré ses 130 ans en 2018, a été créé suite au succès du vaccin contre la rage, élaboré par Louis Pasteur et son équipe. Pourtant, la rage représente encore aujourd'hui une préoccupation majeure de santé publique dans les pays en développement, notamment en Afrique et en Asie où elle est responsable d’environ 30 millions de personnes mordues traitées et d’au moins 60 000 décès par an, dont 40% sont des enfants.
Au Cambodge où on estime à environ 800 décès dus à la rage chaque année, près de 600 000 morsures graves sont causées par des chiens (lire notre article de 2017 sur la rage au Cambodge). Presque tous les cas de rage chez l’homme sont en effet provoqués par la morsure d’un chien enragé : la lutte contre la rage humaine est avant tout une lutte contre la rage canine.
Un vaccin efficace utilisé juste après la morsure suspectée
La maladie est maîtrisable par les vaccins actuellement disponibles.
- Le vaccin antirabique à usage humain est prescrit après une morsure suspectée (vaccination post-exposition) pour prévenir la propagation du virus à partir du site d’inoculation vers le système nerveux central. Il est également utilisé en prévention chez les personnes exposées professionnellement et recommandé pour les voyageurs en zone d’endémie.
- Le vaccin à usage canin, lorsqu’il est administré à grande échelle, interrompt la circulation du virus dans la population canine.
Ces deux approches vaccinales ont conduit à l’élimination de la rage humaine transmise par le chien dans une très grande partie de l’Europe, des Amériques et dans la plupart des pays développés, mais ils sont encore insuffisamment utilisés en Afrique et en Asie, principalement en raison de leur coût élevé et des difficultés logistiques.
La lutte contre la rage passe bien entendu aussi par la prévention : « Il faut rappeler la l’intérêt pour les touristes de se faire vacciner contre la rage avant de voyager dans des pays exposés », souligne Arnaud Tarantola (voir Préparer son voyage).
Les recommandations OMS renouvelées en 2018, grâce à l’expertise pasteurienne
Le travail du réseau des Instituts Pasteur a fourni des données qui concourent à l’amélioration du rapport coût-efficacité de la prévention antirabique. Ainsi, en avril 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a renouvelé ses recommandations sur l’utilisation des vaccins et des immunoglobulines antirabiques.
La vaccination post-exposition par injection de doses réduites par voie intradermique après des blessures causées par des animaux (principalement des chiens, aussi des chats, des ruminants, des porcs, des singes, des chauves-souris) se fait désormais en trois séances (J0, J3, J7) sur une semaine au lieu de 4 sur un mois.
Améliorer la prise en charge des patients et l’accès aux soins
Le raccourcissement significatif du protocole vaccinal, dit « IPC » pour Institut Pasteur du Cambodge, permet d’améliorer la prise en charge des patients et un accès plus équitable au vaccin, en particulier pour les populations démunies issus des milieux ruraux. Pour parvenir à ce résultat, les équipes ont étudié rétrospectivement le devenir clinique d’un grand nombre de patients vaccinés. Les chercheurs ont montré qu’il n’y avait pas de surmortalité chez ceux ayant interrompu le protocole avant la 4e injection (2). Des immunoglobulines contre la rage restent nécessaires en plus de la prophylaxie post-exposition dans des cas de morsures sévères chez les personnes n’ayant pas été vaccinées antérieurement.
Le protocole IPC est le premier protocole post-exposition sur une semaine à être recommandé par l’OMS. Ceci a permis d’envisager son financement par le GAVI dans 47 pays éligibles à partir de 2021. L’Institut Pasteur du Cambodge, qui accueille près de 26 000 personnes par an après une morsure par un animal potentiellement enragé, a poursuivi son engagement dans la lutte contre la rage avec l’ouverture de son deuxième centre de vaccination à Battambang, en 2018, et de son troisième centre à Kampong Cham, début 2019.
Sources
(1)· Intradermal rabies post-exposure prophylaxis can be abridged with no measurable impact on clinical outcome in Cambodia, 2003-2014. Vaccine. 16 novembre 2018.
Tarantola A, Ly S, Chan M, In S, Peng Y, Hing C, et al.
(2)· A 1-week intradermal dose-sparing regimen for rabies post-exposure prophylaxis (RESIST-2): an observational cohort study, The Lancet Infectious Diseases, 26 septembre 2019.
Tineke Cantaert1*, Laurence Borand2*, Lauriane Kergoat4, Chanthy Leng2, Sivlin Ung1, Sotheary In2, Yiksing Peng2, Chandara Phoeun2, Chanthy Hing2, Chun Navy Taing2, Manil Saman2, Sivuth Ong3, Channa Mey3, Rithy Choeung3, Sowath Ly2, Philippe Dussart3, Hervé Bourhy4*, Arnaud Tarantola2*
1. Immunology Unit, Institut Pasteur du Cambodge, Institut Pasteur International Network, Phnom Penh, Cambodia ;
2. Epidemiology and Public Health Unit, Institut Pasteur du Cambodge, Institut Pasteur International Network, Phnom Penh, Cambodia ;
3. Virology Unit, Institut Pasteur du Cambodge, Institut Pasteur International Network, Phnom Penh, Cambodia ;
4. Lyssavirus Epidemiology and Neuropathology, WHO Collaborating Centre for Reference and Research on Rabies, Institut Pasteur, Paris, France.
Cette étude entre dans le cadre de l’initiative Vaccinologie et immunothérapie du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
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